Il y a cent ans dans le diocèse d’Avignon : juillet-août-septembre 1915

5 octobre 2015

L’œuvre de l’adoption des orphelins de guerre

L’œuvre dont nous parlions précédemment est lancée officiellement au cours d’une « belle manifestation de foi patriotique… dans notre vieille cathédrale ». C’est M. Méritan, curé de Saint-Ruf qui expliquera en chaire la nature, le but et le fonctionnement de cette œuvre qui, dit-il est « déjà baptisée, héla ! dans le fonds des cœurs en deuil, par les saintes larmes de veuves ». Le trait distinctif de cette œuvre, par rapport à ses semblables, est de faire en sorte, par tous les moyens, de garder l’enfant dans sa famille, en tout cas, s’il doit être placé, de ne pas le déraciner. Dans tous les cas, grâce aux dons des bienfaiteurs, une pension de 200 fr. par an est versée par l’intermédiaire du curé, à la famille pour les besoins des orphelins de guerre.

Un mois après, le comité chargé de servir les intentions charitables, adresse un rapport à Mgr l’Archevêque. En premier lieu, pour venir en aide aux veuves, et répondre à leurs attentes et besoins, le comité souhaite établir un bureau de consultations juridiques. Par ailleurs le comité rend compte du fait que M. le baron de Courtois a mis à disposition de l’œuvre un immeuble à Visan, qui pourrait accueillir le cas échéant, des orphelins sans famille. Enfin, grâce aux prédications et quêtes, et avec le soutien des curés, partout se mettent en place des comités paroissiaux. Après un mois d’existence, le comité a déjà pu recueillir 2000 fr.

Cette œuvre est symptomatique de l’impact moral et psychologique qu’aura eu cette guerre sur la population. A quelque niveau que ce soit, et quelles que soient les convictions politiques ou religieuses, la mort de tous ces hommes, des plus jeunes aux plus âgés, morts pour la France dans les plus terribles conditions, ont comme obsédé tout le monde.

Et la vie continue

Ils sont nombreux à être partis « la fleur au fusil », ils sont nombreux à avoir pensé que cette guerre ne durerait pas ! Et pourtant, le temps passe.
Dans le n°39 du 26 septembre 1915, nous découvrons un communiqué étonnant de l’Archevêché à propos des mariages par procuration ! Véritable signe d’espérance et de confiance, le signe que l’Amour est plus fort que la mort, malgré la distance et les séparations, les jeunes gens qui sont partis au front, en laissant familles et promises, veulent continuer à vivre... et à se marier !
Dans le cas d’un mariage par procuration (qui est toujours prévu par le droit canonique en vigueur), « la procuration doit donner mandat à une personne déterminée de formuler, au lieu et place du mandat, le consentement à son mariage avec une personne déterminée ». Le document doit être établi par écrit par un aumônier militaire et deux témoins qui attesteront, sous la foi du serment, « l’identité du mandant, et si possible son état libre ».
Le communiqué de l’Archevêché donne précisément les formules de la procédure à suivre, en conseillant, en ce qui concerne la messe « pro sponso et sponsa » (pour l’époux et l’épouse) « de ne faire célébrer cette messe qu’après le retour du militaire et en sa présence, afin qu’il lui reste le souvenir d’une cérémonie religieuse à laquele il soit intervenu personnellement à l’occasion de son mariage. »

Le vœu de guerre

Monseigneur l’Archevêque annonce dans la Basilique Métropolitaine de Notre Dame des Doms, son « vœu de guerre » auquel il voudrait associer le diocèse tout entier, en construisant une église. Depuis longtemps, confie-t-il, il souffre de voir le quartier des Rotondes, délaissé religieusement. Il en parlait un jour à son entourage, en expliquant que s’il disposait au moins d’une certaine somme – dont il précisa le montant -, il pourrait commencer par acheter un terrain. Or, le lendemain, il recevait à l’archevêché un don anonyme du montant exact espéré. Sur ce, cherchant à acheter un terrain, il se trouve qu’un propriétaire le cède à titre gracieux ! Fallait-il plus de signes ? « la guerre survient qui donne à Sa Grandeur l’idée d’un vœu de guerre. Un de nos plus illustres penseurs a dit ‘comme il n’y a rien qui dépende plus immédiatement de Dieu que la guerre et que Dieu a restreint sur cet article le pouvoir naturel de l’homme, il y a toute raison de multiplier nos vœux lorsque nous sommes frappés par ce terrible fléau’. Pour attirer les miséricordes de Dieu sur nos armées, suivant la pensée de J. de Maistre, Monseigneur pense qu’il y a tout raison de publier son vœu et d’inviter tout son diocèse à s’unir à lui pour élever au Dieu des armées le monument de la guerre l’église du vœu qui portera le nom d’église du Sacré-Cœur. ».
Dans la livraison du 15 août 1915, Monseigneur l’Archevêque revient sur ce vœu de guerre. Il rappelle qu’il s’agit « un grand acte de religion ; c’est un cri de foi et de détresse vers Celui de qui dépendent les destinées des peuples… on y met aussi les repentirs d’un passé où Dieu fut trop oublié, trop méconnu, et, pour l’avenir, les résolutions d’une vie meilleure ». Il ne suffirait pas, en effet, de récolter des dons, et de bâtir une église, mais encore faut-il que cette église soit « comme l’objet extérieur et sensible de notre vœu », qu’elle témoigne donc, autant du cri de foi, que du repentir et de la résolution d’une vie meilleure. « Ce que nous voulons surtout, c’est que les vœux s’unissent aux vœux, les prières aux prières, et que la future église dise à jamais que le Comtat a espérée dans l’avenir de la France, parce qu’il a eu confiance en la bonté de Dieu. Toute la beauté de l’église lui viendra de cette grande pensée ».

Les livraisons suivantes vont annoncer les dons et les donateurs qui n’auront pas tardé, des plus modestes et anonymes (1 fr. 50 par un anonyme de Rustrel) aux plus importants (5 000 fr de Mme Palun en souvenir de Mgr Sylvain). On y lit aussi les « vœux » émouvants qui accompagnent ces offrandes : « vœu d’un soldat blessé exaucé », « que le Sacré-Cœur console une mère éprouvée par la guerre », « en souvenir de mon fils Louis et pour que Dieu protège son frère au armées », « une mère pour le retour de son fils »…

Visites de Mgr l’Archevêque

L’archevêque d’Avignon ne se contente pas de déclarations ! Les actes témoignent en faveur de ses paroles.
Tout d’abord, en cette année 1915, Mgr l’Archevêque fera sa retraite spirituelle annuelle au Grand Séminaire... aux côtés de « nos chers blessés, dont la vue réveillait en lui un si poignant, mais aussi un si glorieux et si réconfortant souvenir ». On pourrait s’étonner qu’au cœur de ces épreuves qui touchent chacun, chaque famille et tout la Nation, un évêque prenne le temps de faire une retraite spirituelle. Monseigneur l’Archevêque lui-même, attentif à cela, explique aux pensionnaires du Grand Séminaire transformé en hôpital, la raison de cela. C’est le moyen, expliqua-t-il, pour les prêtres et les évêques de renouveler « en eux-mêmes le sentiment profond de leur responsabilité et (de) se préparer à se dévouer de nouveau à leur auguste ministère avec plus de lumières, plus de générosité, plus d’énergie ».
« Depuis le début de la guerre, Mgr est venu maintes fois visiter les divers services de l’Hôpital, apportant à chacun de nos glorieux blessés le réconfort des sa parole paternelle et amie. Dimanche dernier, il a voulu faire davantage. Il a célébré la sainte messe dans la modeste chapelle de l’établissement, et devant un nombreux auditoire, il a pu faire entendre la parole autorisée du pontife et du premier pasteur ».
Alors que la foule des fidèles déborde dans les couloirs, pendant son homélie, Mgr l’archevêque évoque ces ennemis « qui ont voulu s’élever au-dessus de tous les hommes ; les voilà ravalés moralement au dernier degré, en attendant que matériellement ils soient définitivement abaissés ». Mais il stigmatise aussi l’esprit de défiance de Dieu et de la foi qui a animé la France, mais il conclue « la victoire viendra, sans doute ; nous en avons la juste et ferme espérance ; mais c’est au ciel qu’il faut d’abord gagner la bataille, en mettant Dieu de notre côté »

Notre Dame de l’Assomption… 1 an déjà

« Un an s’est écoulé depuis la déclaration de guerre », rappelaient les cardinaux français s’adressant aux évêques, en les invitant à un triduum de prière à l’occasion de la Solennité de l’Assomption. Cette lettre rappelle combien cette guerre est terrible, et combien elle frappe douloureusement non seulement le sol, mais aussi la population française et blesse toute l’Europe. « nous souffrons de souffrances de notre peuple ; nous compatissons affectueusement à la détresse des régions occupées par l’ennemi, aux tristesses des familles affligées ». Mgr l’Archevêque associe le diocèse à ce mouvement de prière, par un triduum de saluts du Saint-Sacrement les 12/13 et 14 août.

Mais la mort continue son œuvre

L’abbé Hilarion Ferdinand Condomines, curé de Saint-Christo, infimier militaire à l’ambulance 4/66 est tué à l’ennemi, à l’âge de 38 ans, le 7 août 1915.
Ceux qui sont resté à l’arrière et qui assurent le service sont aussi emportés. L’abbé Marie-Jean-Baptiste-Charles Seyssau, curé de Villes-sur-Auzon, meurt le 10 septembre 1915 à l’âge de 56 ans.

Abbé Bruno Gerthoux
Archiviste diocésain