Les papes d’Avignon : la ville et les papes (2)

2 avril 2009

Sept papes se sont succédé à Avignon si l’on ne compte que les
papes dûment reconnus comme légitimes, neuf si l’on y inclut les deux
papes schismatiques (Clément VII et Benoît XIII)

Si ce dernier était aragonais, sept étaient français et le huitième
de culture française (Clément VII). ; de façon plus précise, les sept
papes légitimes étaient originaires du quart sud-ouest de la France actuelle : Bordelais (Clément V), Quercy (Jean XXII), comté de Foix (Benoît XII), Limousin (Clément VI, Innocent VI et Grégoire XI), Gévaudan (Urbain V).
Ils étaient assez différents par leur passé : trois étaient issus du
clergé régulier : un de l’ordre cistercien (Benoît XII) et deux de l’ordre
bénédictin (Clément VI et Urbain V), les autres étant des prélats séculiers.

A l’exception de deux (Clément V et Urbain V), tous avaient été cardinaux après avoir exercé de hautes fonctions ; archevêques (Clément V, de Bordeaux, Clément VI, de Sens puis de Rouen), chancelier du roi de Sicile (Jean XXII), juge mage dans la sénéchaussée
de Toulouse (Innocent VI) ; plusieurs avaient effectué d’importantes
missions diplomatiques.

Tous avaient fait de sérieuses études mais ils étaient généralement juristes plus que théologiens ; Jean XXII, à titre privé, hasarda même une hypothèse qui frisait l’hérésie ; prêchant à Notre-Dame des Doms, il suggéra que les défunts n’auraient la pleine vision de Dieu que lors du jugement dernier, affirmation qui fut vivement combattue par des
théologiens et notamment par le cardinal Jacques Fournier, futur Benoît XII, ce qui amena la rétractation du pape ; celui-ci sur son lit de mort, prononça une profession de foi orthodoxe.

La fixation de la cour pontificale à Avignon ne fut jamais envisagée de
façon définitive ; Avignon devenue capitale administrative ne pouvait
remplacer Rome sur le plan religieux ; ainsi c’est dans la Ville éternelle que fut célébré le jubilé de 1350 ; le pape s’y faisant représenter par un légat, et l’on vit même à cette occasion des Avignonnais entreprendre le pèlerinage romain. Jean XXII avait un temps songé à s’établir à Bologne mais le retour de la papauté dans la péninsule supposait d’abord l’état pacifique de celle-ci qui était bien loin d’exister.

Les pontifes avignonnais consacrèrent des sommes considérables pour
entretenir des armées contre Milan et les principautés italiennes ou l’empereur Louis de Bavière ; ce dernier suscita même à l’encontre de Jean XXII un antipape en un schisme qui ne dura que quelques mois.
Les papes vivaient entourés de leurs familles et à l’exception de Benoît XII et d’Urbain V pratiquaient largement le népotisme, prenant en charge la vie matérielle de leurs parents laïcs (Jean XXII payant des
deniers de l’Eglise la garde-robe de ses nièces !) et confiant des responsabilités importantes à ceux qui étaient ecclésiastiques :
ainsi une vingtaine de parents de papes obtinrent le chapeau cardinalice.

Installée confortablement à Avignon, la cour pontificale put développer
une administration importante et efficace comprenant environ 500 personnes dont le quart habitait au palais ; elle comportait la Chambre apostolique, service financier dirigé par le camérier et le trésorier, la Chancellerie qui ne comprenait pas moins d’une centaine de scribes chargés de rédiger les lettres pontificales adressées à des princes ou des personnages notables (lettres dites secrètes) ou à caractère administratif, telles des nominations à des bénéfices (lettres
dites communes) qui nous sont connues par des registres conservés
aux Archives Vaticanes ; l’on trouvait encore l’Audience des causes apostoliques (cour de justice en matière religieuse) et la Pénitencerie (absolution des cas réservés au pape). Le pape avait un service de garde (portiers, huissiers, sergents d’armes) et d’honneur (damoiseaux chargés de l’escorter) ; il était entouré par des familiers (ses cubiculaires, son médecin, son confesseur), des chapelains l’entouraient dans ses célébrations.
Enfin la vie matérielle quotidienne était prise en charge par les
services de la cuisine, de la paneterie, de la bouteillerie, de l’écurie. Il ne
faut pas non plus oublier la présence d’un service d’aumônerie très important, notamment avec la maison de la Pignotte qui nourrissait quotidiennement plusieurs centaines de pauvres servis par un personnel réduit mais dévoué.

Les cardinaux sont des princes de l’Eglise qui aident le pape à gouverner, notamment dans des séances tenues en consistoire, effectuent pour lui des missions au loin ; il y a même un cérémonial
prévu pour un légat revenanten cour de Rome qui est accueilli
à quelque distance d’Avignon (ainsi au lieu-dit la Croix de Noves). Les
cardinaux habitent en ville dans des « livrées » : à l’origine ce sont des
« quartiers » comprenant une dizaine ou une quinzaine de maisons réquisitionnées à leur intention ; mais avec le temps un certain nombre des cardinaux se rendent propriétaires de ces immeubles, les font démolir pour construire à leur place une habitation de qualité (cf. la livrée de Ceccano qui seule subsiste en son entier) où ils vivent entourés d’une cinquantaine de familiers.

Mais la présence pontificale entraîne celle d’un grand nombre d’artisans et d’artistes, de commerçants ; ces derniers sont souvent des Toscans, regroupés en sociétés, experts dans le domaine financier qui font d’Avignon l’une des principales places bancaires du temps ; s’y ajoutent les visiteurs de passage, aussi bien des princes de haut rang que des clercs venus de tous les horizons pour solliciter des grâces et qui s’attardent parfois longuement avant d’obtenir satisfaction mais aussi
y demeurent après coup car la vie y est pour eux plus agréable que dans leur patrie ; c’est contre ces pratiques que s’élève Urbain V
qui, épris de réforme, souhaite, hélas sans beaucoup de succès, modérer les ambitions des ecclésiastiques.

(A suivre)