Il y a 100 ans dans le diocèse d’Avignon : Juin 1915

1er juin 2015

Le Sacré Coeur

La consécration de l’église du Vœu National, à Montmartre, qui était prévue au mois d’octobre 1914, avait dû être reportée à cause des débuts de la guerre. En effet, si la construction de l’église du Sacré Cœur de Montmartre avait été inspirée au lendemain de la guerre de 1870, et adopté par décision de l’Assemblée Nationale en 1873, la première pierre n’en fut posée qu’en 1875 et ne fut vraiment achevée qu’en 1914, presque 40 ans plus tard. Cette consécration de l’église devait s’accompagner d’une consécration de la France au Sacré Cœur par tout l’Episcopat français. La dernière livraison du mois de mai du bulletin officiel du diocèse, rapportait les mots de l’Archevêque de Paris à cet égard « il est impossible de consacrer solennellement l’église de Montmartre avant la fin de la guerre. Mais une consécration de la France au Sacré Cœur, le même jour et sous la même forme dans toutes nos églises, est possible ». De fait, l’église du Sacré Cœur ne sera solennellement consacrée que le 16 octobre 1919. Mais il paraissait opportun et nécessaire de faire cette consécration de la France qui avait été décidée à la suite d’une défaite, au moment où un conflit s’engageait, opposant une nouvelle fois les mêmes belligérants.

Cette consécration de la France est fixée au dimanche 13 juin 1914 pour le diocèse d’Avignon par décision de Mgr l’Archevêque. Dans le numéro 23 du 6 juin 1915, Mgr l’Archevêque écrit « l’épreuve, qui depuis plus de dix mois pèse sur leur patrie est lourde et cruelle : ils veulent, pour la faire cesser, faire un suprême et pressant appel à l’amour immense dont ce Cœur adorable est à la fois un organe et un symbole. Rien de mieux. Mais l’amour appelle l’amour. Il ne suffit pas que nous voulions nous réclamer des droits que le Sauveur nous a donnés sur les trésors infinis de son Cœur : il ne les ouvre qu’à ceux qui l’aiment et c’est par les œuvres que se prouve l’amour ». Aussi ce pasteur exhorte-t-il les fidèles à une véritable dévotion au Sacré Cœur qui ne se limite pas, comme l’écrit le pape Benoit XV, à « un vague sentiment de religiosité, les émotions faciles d’une molle tendresse, des larmes d’enfant » encore faut-il que « l’âme se corrige de ses vices ». L’archevêque encourage les familles à « installer une image du Sacré Cœur de Jésus au foyer domestique ; on lui assigne une place d’honneur ».

Mgr Latty ne se contente pas de donner des enseignements par la parole, il prêche d’abord par l’exemple. Aussi, le dimanche 13 juin 1914 « il se proposait d’annoncer aux catholiques d’Avignon et, par eux, à tout le diocèse, l’érection future d’une église qui sera, pour nous, le « vœu de la guerre » et qui sera dédiée au Sacré-Cœur ». Ce sera l’église que nous connaissons bien, sur la route de Marseille à Avignon. Héritière du Vœu National à la suite de la Guerre de 1870, inspirée au moment de la guerre de 14-18, blessée au moment de la guerre de 39-45, ressuscitant de ses ruines, elle demeure comme cette image assignée en une place d’honneur au cœur du foyer domestique de l’Eglise diocésaine, témoin aussi bien de l’espérance et de la foi des chrétiens, que de la fidélité de Dieu à ses promesses.







L’œuvre de l’adoption des orphelins de guerre

Le numéro 26 du 27 juin 1915 rend compte de la décision de Mgr l’Archevêque de créer une œuvre qui puisse venir au secours des orphelins de guerre : « l’œuvre de l’adoption des orphelins de la guerre ». Cette œuvre naît dans un contexte polémique. En effet, l’annonce d’une « journée » nationale avec quête au profit d’un organisme particulier, donne l’impression que l’on veut « accaparer les enfants », en négligeant toutes les autres institutions ou organismes existants qui prennent soin, et parfois depuis longtemps, des orphelins. « il nous eût été très doux de participer à une journée dont auraient bénéficié tous les orphelins de la guerre ; l’œuvre ainsi généralisée, se présentant dans le cadre de l’Union Sacrée, eût apparu aussi touchante que sublime ; et quel avantage pour nos orphelins !... on ne l’a pas voulu. Un étroit et mesquin particularisme a prévalu sur les conseils des sages, sur les raisons du plus pur civisme ».

Aussi, Monseigneur l’archevêque a « convoqué la Section d’Œuvres de charité et sociales, présidée par M. le chanoine Méritan, curé de Saint Ruf, et composée de prêtres et de laïques. Dans cette réunion, on a jeté les bases de cette œuvre charitable ». Quel est son but ? Avant de placer les enfants dans des orphelinats, il s’agit surtout de les secourir en les conservant au foyer, et créer autour d’eux « une vigilante et affectueuse affection ».

« La vague religieuse »

Sous cette appellation, il est parlé dans le dernier numéro du mois de juin de ce « mouvement soudain qui, à la faveur de la guerre, est venu remuer les âmes, et qui tend à les ramener à Dieu, en les posant en face de la question de leur destinée ».

Dans une longue et belle méditation, l’archevêque revient sur les épreuves terribles aussi bien des soldats au front, des blessés dans les hôpitaux, que des familles qui font prendre conscience de la fragilité de la vie. « est-ce là vivre ? … de cette question à un acte de foi, il n’y a pas bien loin. On ne peut se résoudre à conclure à une vie qui n’aurait pas de sens : ce serait absurde… la foi se présente comme un rayon suprême, pour sauver du désespoir et de l’absurde l’homme qui va mourir en pleine vie, et qui le sait ».

L’évêque poursuit « du reste, à cette heure, les obstacles ordinaires que l’homme oppose à la foi, n’ont plus de force. Les préjugés tombent ; les passions se taisent ; le respect humain ne compte plus du tout. ». Si d’un côté les résistances tombent, d’un autre, il y a la force d’attraction de la prière de ceux « qu’ils ont laissé au pays, leurs mères, leurs femmes, leurs enfants…on prie aussi sur le front…ils voient tous ces prêtres qui, par milliers, sont aux armées, peinant et souffrant comme eux, exposés à tous les hasards de la guerre, unissant aux vertus militaires, le doux et consolant prestige des hommes de Dieu ».

L’évêque souligne encore que la guerre, parce qu’elle est longue et sans répit, conduit, comme malgré elle, à la vertu : « l’amour du sacrifice, le mépris de la mort, une élévation d’esprit et une force de volonté qui, poussées jusqu’à un certain point, constituent l’héroïsme ».

Il conclut en constatant plus que jamais cette vague religieuse, aussi bien au front que dans les paroisses, comme une lame de fond pleine de ferveur, à laquelle n’ont pas résisté les tentatives sectaires de dénigrement. N’oublions pas que nous sommes encore dans les suites conflictuelles de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et que rien n’est encore réglé ! Cela ne commencera à être appaisé qu’en 1924, grâce à un compromis entre Pie XI et la République, par la création des associations diocésaines. Aussi, Mgr Latty encourage encore les fidèles en citant les paroles du Général Cherfils « Ayons un peu plus de fierté et de courage. Maintenant, une guerre nous suffit à nous Français, celle contre l’Allemagne ; et nous ne voulons pas à celle-là en ajouter une autre, dont certains politiciens préparent l’arsenal. Mais après que nous aurons chanté le Te Deum de la victoire, souvenons-nous du Credo ; et ne permettons plus que la guerre civile et laïque exerce contre notre conscience et notre foi une haineuse tyrannie. »

Abbé Bruno Gerthoux
Archiviste diocésain